Galerie Grancy - LAUSANNE 2008

Chauder et les Trois Jérusalem : aller aux origines

Vous ne pouvez pas passer à côté : cette peinture vous prend par la main, vous fait entrer, sans discussion possible, dans un monde en fusion. Mouvements de lumière, bouillonnements de couleurs et de signes. Pour allez à l'origine, pour vivre cette aventure, d'innombrables chemins sont possibles, une chose est sûre : vous n'en ressortez pas indemne. Le titre de cette œuvre de grande dimension : Les trois Jérusalem – oui, vous aviez senti la raison de la violence, de ces tâches de sang, même si d'emblée vous n'aviez pas éprouvé l'ombre forte de Dieu, de ce Dieu qui, sans cette ville emblématique, a inspiré la création des trois grandes religions monothéistes. On préfèrerait certes que Jéhovah, Dieu et Allah fussent partenaires plutôt qu'antagonistes. Cette grande œuvre silencieuse a l'ambition de nous amener à l'idée d'une nouvelle synthèse. J'aime cette manière de comprendre et de pratiquer la peinture, loin des modes décoratives ou iconoclastes de la grande actualité artistique.
Même s'il est riche de symboles et d'intelligence philosophiques, l'art de Guy-Paul Chauder n'a rien d'intellectuel : c'est une activité du corps, procédant d'un travail énergique, d'une accumulation de matières, de traces, à partir de l'origine, comme s'il fallait constamment refaire l'histoire de l'homo faber, l'histoire de l'art. "Je n'invente rien" dit-il, comment d'ailleurs inventer ? Lao Tseu avait déjà tout dit : "Prendre conscience, c'est transformer le voile qui recouvre la lumière en miroir" !
Ainsi, pour Chauder, l'artiste ne crée pas, n'invente pas, il ne fait que relire, redire, réinterpréter, avec les moyens de son temps, pour rendre compte de la condition de l'homme. De nos jours, Rembrandt aurait sans doute peint autrement, mais même avec ses moyens figuratifs, chaque centimètre carré de ses incroyables autoportraits constituait un monde, réinterprété.
Chauder a une manière classique de peindre, c'est lui qui l'affirme. Sauf qu'il peint en dur, pour ainsi dire. Une technique qu'il met au point il y a vint-cinq ans. Il prend un support résistant, à savoir la voile de bateau. Cette toile et ces formats exigent des châssis très solides. Pas question de peintre à l'huile, il faut des matières synthétiques qui se combinent avec beaucoup de papier, qu'il va coller. Le relief est sensible. Il y a souvent une aspiration aux trois dimensions – qu'il réalise d'ailleurs dans ses sculptures.
Un tempérament peu commun habite cet homme né en 1946 dans un milieu ouvrier de la banlieue rouge de Paris. Enfant, Guy-Paul vit les années d'après-guerre, il n'aspire qu'à une chose : dessiner, peindre. Ce n'est pas un métier ! lui répondent ses parents qui consentent néanmoins à l'inscrire à l'Ecole des arts du feu à Paris. Il y acquiert des bases solides dans tous les domaines des arts plastiques. Il quitte alors la France pour l'Angleterre, la Suède, le Danemark, les Etats-Unis…
Il voyage et expose beaucoup, jusqu'à son retour en France, où il adopte une nouvelle manière de peindre, non figurative.
Il y a quelque cinq ans, il va s'installer en Corse, dans une montagne au-dessus de Bastia, où il trouve sa terre d'attache, ses amis. La terre, c'est capital. Une énergie tellurique le traverse, dont il imprègne ses œuvres. Il éprouve un amour total pour la peinture, celle des autres, aussi. Il fonde des associations d'artistes, de musiciens, capables de rassembler des forces.
Il expose à la Galerie de Grancy*, pour la première fois en Suisse, découvert à Paris par Anne Vo-Thi.
A travers sa puissance expressive, rassemblant à la fois le mythe primitif, le drame et la subtilité de la poésie, se dégage un sentiment tragique qui fait dire à Chauder : "Notre devenir, de toute manière, est d'aller à la mort, étant entendu que nous serons toujours présents d'une manière ou d'une autre, que nos atomes feront partie d'autres combinaisons".

PH – Pharts – Le magazine suisse des arts – Juin-juillet 2008

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