Quelques mots
Il aime, à l’évidence, et pour commencer, les matériaux eux-mêmes : les pinceaux, les toiles, le
papier, les tubes, les encres, les couteaux et les grattoirs…leur présence, leurs odeurs. Ce sont
ses compagnons de route.
Il aime – comme on aime boire et manger, mais aussi comme on aime les mots, ou les sons, la
texture qu’il obtient avec ses matériaux de peintre. Les couches de pigments s’entassent, se
chevauchent, créent des épaisseurs, et dans ces magmas il fait des entailles furieuses, féroces, il
détruit ce qu’il a construit pour mieux dessus reconstruire.
C’est ainsi que des écritures jaillissent, écritures de peintre, non d’écrivain, c'est-à-dire avec des
codes qui demeurent cachés, tant pour celui qui les voit que pour celui qui les « écrit ».
Au départ, il s’agit d’une gestuelle, d’une énergie qui s’étale, se déverse, s’exprime. Et puis, tout à coup, c’est beaucoup plus, c’est même autre chose. C’est un message, un savoir qui s’instaure
sur la toile, un secret chargé de sens.Tout est là. Le peintre découvre en peignant ce qu’il ne
sait pas et le donne à voir. Il devient spectateur de son travail, tout aussi désemparé que vous
et moi, devant ses toiles. Cette humilité, profonde, de l’art dit abstrait devrait nous toucher.
Regarder un « sens » avec ses yeux, et le garder en soi dans son mystère entier, n’est-ce pas
le coeur non seulement du problème de la peinture mais aussi celui du problème mystique ?
Mais un peintre n’arrive à l’indicible du tableau que par un instinct sûr de la peinture, et beaucoup
de travail. S’il privilégie les grandes toiles c’est que Guy-Paul engage le tableau qu’il peint
dans une bataille à deux, ainsi qu’un matador qui, entré dans l’arène, ne peut la quitter que
quand il y a une « fin », celle du taureau ou la sienne. C’est donc que Guy-Paul Chauder attaque
sa toile en s’impliquant totalement, corps et esprit s’unifiant en ces moments de création.
La toile crie, saigne en laves de couleur rouge, brûle et se calcine, se tourmente, va dans tous
les sens et trouve enfin son équilibre. Mais il s’agit d’un équilibre mouvant, instable, une éruption
qui se poursuit au-delà du tableau.
Ces compositions agitées - et pourtant sereines – débutent par des traces. Ce sont des aventures
: un coup de pinceau pose une tâche première, puis une autre, fait une ligne, une pré-écriture,
la trace n’étant même pas encore un geste, tout juste une naissance qui va bientôt se déterminer,
plus tard devenant essentielle.
Ces traces transformées demeureront aussi traces dans le tableau abouti qui garde ainsi tous ses
cheminements, c’est d’ailleurs là un élément de fraîcheur qui caractérise toute l’oeuvre de Chauder.
Mille fois revenu sur la toile, ce pèle mêle savant garde la spontanéité de sa genèse. Ces oeuvres
portent en elles des cheminements, des efforts, des décisions, des coulées de matières, qui
ramènent à leur propre centre avant de s’envoler dans l’imaginaire où elles continuent de vivre.
Pourtant, ce monde qui nous transporte dans un enchantement mystérieux est un monde de
terre et de feu.Tellurique. Puissant. Un déferlement. Il est sombre mais jamais mélancolique car
il représente les origines primordiales de la vie.
Dessinées, peintes, projetées non seulement par des mains mais par un corps tout entier associé
à l’esprit, les toiles de Chauder finissent par créer une alchimie secrète, une méta-écriture,
et cela dans un silence du milieu des batailles qui est le lieu véritable de l’art.
ETEL ADNAN
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